Le samedi 22 et le dimanche 23 octobre, au Palais des Congrès, se tiendra, sur invitation du bourgmestre de la Ville de Liège, la Convention européenne des collectivités locales pour la promotion des services publics.
Celle-ci a pour but de réunir les représentants des collectivités locales, qui, comme la Ville de Liège, se sont déclarées « hors AGCS », mais également tou-te-s les citoyen-ne-s qui désirent réfléchir et agir ensemble pour la construction d'une alternative collective, européenne par exemple, à la privatisation des services publics.
Pour certain-e-s, l'AGCS est bien connu, et les enjeux qu'il suppose aussi. Pour d'autres, c'est un sigle porteur de menaces difficiles à cerner et à évaluer. Dans le but d'éclairer un peu le débat, et surtout de le rendre compréhensible et donc accessible au plus grand nombre, penchons nous à nouveau sur la question...
Tout d'abord, de quoi parle-t-on?
L'AGCS est l'Accord Général sur le Commerce des Services que l'Organisation Mondiale du Commerce entend finaliser d'ici le 1er Janvier 2006, sans aucun débat parlementaire public et démocratique, puisque les représentants de l'OMC ne sont pas élus par le peuple. Cet accord entend libéraliser, c'est-à-dire ouvrir à la concurrence avec le secteur privé, des services de base tels que l'éducation, la santé, l'environnement, la culture, les transports, le logement, la protection sociale... acquis de haute lutte par les générations précédentes, et que nous tenons à léguer à celles qui nous suivent...
Quels sont les enjeux de la défense des services publics?
Pour bien en saisir l'urgence et l'importance, il est nécessaire de se pencher sur la spécificité des mécanismes du privé et du public, ce qui nécessite un peu de connaissance économique. Connaissance malheureusement peu enseignée, ce qui est choquant puisque l'on nous serine à longueur de temps que l'économie est le seul cadre de pensée qui permette d'organiser la vie sur terre, c'est-à-dire la politique, qui n'est jamais que le débat démocratique (=accessible à tous) sur l'« art de vivre ensemble »...
Examinons donc de plus près les deux logiques en place, en commençant par celle qui a la cote en ce moment: le capitalisme (aargh, tout de suite les gros mots!)...
Les services offerts par le secteur privé d'inspiration capitaliste sont détenus par leurs actionnaires/investisseurs privés, et ce par l'intermédiare principal des placements boursiers. Le but clairement déclaré de ces services est la rentabilité, c'est-à-dire le bénéfice qui sera reversé aux investisseurs, et qui leur permettra d'accumuler davantage de capital, qu'ils pourront ensuite réinvestir (jusqu'au prochain krach boursier ou à la destruction totale de l'environnement, mais c'est un sujet en soi, restons sur notre sujet du jour, qui n'est déjà pas simple).
Il faut en effet bien comprendre le principe de base du secteur privé: la rentabilité de l'investissement. En effet, un investisseur accepte de « prêter » son argent s'il est assuré d'en recevoir, dans un certain laps de temps, un dividende, c'est-à-dire un « surplus », un bénéfice.
C'est le principe du livret d'épargne: j'accepte de ne pas jouir de tous mes moyens financiers (mon capital) dans l'immédiat parce que ma banque me propose un intérêt si je le lui prête un certain temps.
Ce qui devient choquant et problématique pour l'organisation du « vivre ensemble », c'est lorsque ce but d'accumulation du capital mène à des investissements « aveugles » à l'intérêt général et à la dignité des individus. En effet, le bénéfice réclamé par les investisseurs des multinationales (futures concurrentes des services publics si l'AGCS est mis en place) s'éleve en moyenne à 15% de leur mise de départ! Le livret d'épargne, c'est de la petite bière en comparaison! Il est sûr que pour dégager un tel bénéfice, on ne fait pas dans la dentelle, ni dans le social: plus question de solidarité (l'accès aux services est bien évidemment restreint à ceux qui peuvent se les payer) mais bien de réduction de tous les coûts qui pourraient limiter le bénéfice: depuis les coûts de fabrication, dont les matières premières (ce qui explique la faible qualité des produits bon marché, et leurs répercussions écologiques), jusqu'aux salaires joliment appellés « coûts du travail » (ce qui explique le recours à la main d'oeuvre la moins chère et la moins organisée pour faire valoir ses droits: chômeurs terrorisés par la crainte de l'exclusion et donc par la misère pour eux et leurs proches, travailleurs clandestins et/ou main d'oeuvre étrangère -y compris les enfants- à bon marché, loin de nos yeux de consommateurs occidentaux à la recherche de « la bonne affaire », par choix mais aussi parfois par nécessité)...
Voici donc, en gros et à la louche, un sacro-saint principe du capitalisme ultra-libéral: toujours plus pour quelques-uns (ceux qui ont au départ du capital à investir en Bourse) au détriment, s'il le faut, de tous les autres (ceux qui triment pour leurs fins de mois)...il y a bien d'autres choses à en dire, et bien d'autres débats qui en découlent, comme la notion de décroissance (consommer moins et mieux) par exemple, mais gardons le fil du sujet qui nous occupe: la mise en concurrence entre les services publics et privés projetée par l'AGCS.
Essayons à présent de comprendre la logique et les objectifs totalement différents du service public:ceux-ci sont financés par le public et appartiennent donc au public, à la collectivité (nationale, puisque jusqu'ici ils sont financés et organisés sur cette base géographique) dans son ensemble. Ils ont pour but et raison d'être la dignité de tou-te-s et la cohésion de la société par la solidarité effective qu'ils concrétisent: quelque soit la contribution financière que l'on est en mesure de verser pour financer le système collectif de soins de santé, par exemple, on a le droit d'y faire appel, de rentrer dans un hôpital et de recevoir tous les traitements nécessaires: le manque de moyens ne peut faire obstacle au droit à la santé! Ceci est bien évidemment transférable: droit à l'éducation, à la culture (c'est tout l'enjeu de l'Education Permanente), au logement (le logement social), etc.
En d'autres termes, les services publics n'ont donc pas comme but d'être rentables, mais efficaces, ce qui est totalement différent!Leur efficacité tient dans la possibilité qu'ils offrent à chacun-e, par la solidarité interpersonnelle de tous les citoyens, de faire valoir ses droits sociaux et démocratiques, quelque soit le revenu dont il/elle dispose, et la contribution qu'il-elle verse, par l'impôt (qui n'est donc pas qu 'un coût, mais bien un « investissement » collectif et solidaire...), à leur financement: c'est le principe « à chacun selon ses besoins, et non selon ses moyens »...
Principe qui, bien évidemment, ne correspond pas à la logique des défenseurs (plutôt des attaquants, d'ailleurs...) du capitalisme ultralibéral, pour qui un citoyen est d'abord un consommateur, donc un acheteur à qui l'on vend un service en fonction du montant qu'il peut/veut y mettre: c'est le principe « à chacun selon ses moyens, et non selon ses besoins »...
Pour ces esprits étroits, il est naturel que tous n'aient pas accès à tout, ni même à l'essentiel...et tant pis pour ceux que l'extension de cette logique laisse sur le bord de la route, ce sont les « dommages collatéraux » de cette nouvelle expression de la guerre que constitue le commerce basé sur la « libre » concurrence.
L'enjeu est donc de taille: une société solidaire et égalitaire, dont le but est d'agir au mieux pour compenser les inégalités sociales, ou une société qui admet l'inégalité comme une fatalité indépassable, et qui conditionne le droit à la dignité à l'épaisseur du portefeuille...
La Convention organisée ces 22 et 23 octobre au Palais des congrès est donc une invitation et une occasion (parmi d'autres, certes...) de réunir tou-te-s les citoyen-ne-s, qu'ils fassent ou non partie d'une association, d'une organisation ou d'un parti, autour d'un objet qui nous concernent tou-te-s: la défense de nos services publics. Objet qui nous touchera durement si nous ne réagissons pas maintenant tou-te-s ensemble, avec la force collective que les générations précédentes ont mise en oeuvre pour les créer, et que nous avons le devoir et l'intérêt général de défendre, pour notre bien-être présent et celui des générations qui nous suivront...
Vous trouverez des infos sur les sites suivants: www.agcs-gats-liege2005.net
A l'initiative de la coordination D'Autres Mondes, les participant-e-s à la Convention seront invité-e-s à découvrir les nombreuses associations et les organisations syndicales qui tentent d'oeuvrer à l'intérêt général et au bien public sur le territoire « hors AGCS » de la Ville de Liège. Dans cette optique, Barricade ouvrira ses portes et ses ordinateurs libres aux visiteurs, tandis que la Casa Nicaragua leur ouvrira sa table...
Caroline Quaden / Le Pavé Dans La Mare / Barricade.